La rosée du soir- I -
Lentement, mais sûrement, je me fous des mots.
Elle s’épanouit dans l’infiniment moyen.
Je vis à rebours.
Inondations : je perds huit kilos pour me retrouver du charme.
A nouveau la cigarette et à nouveau l’écriture. Existerait-il entre la fumée du tabac et celle du cerveau d’invisibles connivences ?
Le bricolage ? Un succédané de l’art. C’est à ce titre qu’on peut augurer que l’art soit descendu dans la rue.
La plupart des visages dont je me souviens ont une raie au milieu et deux bonnes joues. C’est peu pour écrire ses Mémoires.
Chaque fois que ma cigarette rencontre ce cendrier de nacre, je repense à elle. C’est étrange qu’un banal petit objet puisse évoquer une magistrale mappemonde !
Elle me parle de l’inessentiel avec une faconde admirable et mon gland l’écoute avec beaucoup d’attention.
Autour de moi meurent mes amis. Mon tour approche. Je n’ai jamais été aussi serein qu’aujourd’hui, preuve que je suis vraiment malade.
Comme beaucoup de starters, j’aime surtout les sprinteuses vues de dos.
Les interviews des sportifs me confirment abondamment dans leur très haut niveau musculaire.
On peut toujours s’imaginer que les vieilles furent d’excellentes flûtistes.
On ne peut pas décemment répondre “Des chefs-d’oeuvre” à quelqu’un qui vous demande seulement ce que vous faites !
L’érotisme m’a toujours mieux désennuyé que les livres.
Par une sorte de projection dans le temps de mes différentes épouses, mes belles-mères m’ont toujours fait fantasmer.
Toutes les femmes m’ont trahi, y compris celles qui ne me trompaient pas.
La gourmandise et la luxure s’harmonisent si parfaitement qu’on ne peut qu’aimer les femmes grosses.
Sur ma tombe, j’aimerais qu’on dépose des gerbes de culs.
Tel lecteur m’envoie une longue première lettre, me parle femme et enfants, littérature américaine, me donne son âge et son signe zodiacal. Quoi encore?? Ah oui, il espère que nous allons nous lancer l’un l’autre dans une correspondance passionnante. Et dès sa seconde lettre, il m’insulte poliment.
La canicule a fait des milliers de morts. Nul n’évoque pourtant ces bienheureuses familles qui se réjouissent d’un décès prématuré.
Le drame de mon enfance, c’est d’avoir attendu l’âge légal de la perversité douce, la tête décorée de mes fantasmes.
Il paraît que je fais des “sauts de raisonnement”. La justesse de cette remarque m’affecte d’autant plus que j’ai toujours beaucoup sauté.
 ge ou tabac : j’ai des fosses de mémoire...
La misanthropie consiste à n’aimer que les gens beaux, intelligents, serviables, honnêtes et qui ne vous accablent pas de la perfection de leur nombril.
Je connais bien mes limites. C’est même l’une des raisons qui me pousse à ne pas les reculer.
Son mot-clé : S’investir. J’en infère que sa femme ne s’investit pas suffisamment dans la fellation.
J’ai pris ma retraite en douce. Pas de pot d’adieu, pas de discours, pas de cadeau. Le cadeau, c’était de ne plus les voir.
Leur optimisme béat me confond. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles. Chez eux, il n’y a que la fosse qui soit septique !
M’étant égaré dans un orifice interdit, je m’étonne de son extrême souplesse.
- C’est le yoga, m’explique-t-elle.
Va pour le yoga !
Puisque le futur m’est interdit, mettons des papillotes au passé !
Si je n’avais pas aimé tant de jeunes filles en fleur, qui parfumerait mon ombre ?
A presque 70 ans, on me propose d’être surveillant de baignade et/ou président d’une association de gymnastique. Que d’efforts en perspective pour entrevoir seulement un peu de chair fraîche !
Je m’aigris sans maigrir, triste spectacle !
J’imagine la jubilation des gens célèbres devant les génuflexions énamourées de leurs fans.
Comment se désoler pour quelqu’un qui tombe raide mort d’une rupture d’anévrisme ?
Les ordinateurs ont charge d’âmes...
Je reçois tous les jours des publicités pour m’inviter à développer ma verge, ralentir mon éjaculation, goûter au Viagra, être Priape ou quasi. Le tout en langue anglaise, concocté sans doute par des aigrefins qui fantasment sur de modernes menhirs.
On me juge toujours sur ce que je ne fais pas.
Je fume aussi pour avoir le prétexte de m’isoler.
J’ai le souvenir obsédant d’étreintes faramineuses où, délicatement empalée sur moi, nous devisions littérature et musique, fumant et buvant comme des dieux.
De dos, les femmes parlent plus distinctement. Mais c’est en montant des escaliers que leur discours se débride.
Les jeunes filles tiennent leur journal intime parce que leur intimité s’émancipe sous la pulpe de leurs doigts.
Quand j’écoute par hasard les informations, j’ai l’impression qu’elles n’ont pas changé depuis quarante ans.
La mort de mes chats m’émeut plus que la monstruosité des hommes.
Je me suis enterré à la campagne pour rêver de loin aux joyeusetés urbaines.
Je parle peu, j’écoute de moins en moins - et m’enthousiasme qu’on me le rende si bien.
Je m’étonne encore qu’une mère aime moins sa fille qu’elle ne déteste son gendre.
Même les journaux satiriques restent muets sur les galipettes des célébrités, preuve que les turpitudes du cerveau sont beaucoup moins respectables que les désordres du cul.
Vieillard libidineux ? Encore heureux que la libido nous tienne en vie !
La vanité des hommes n’a d’égal que le caquet de leurs femmes.
Remercions Freud d’avoir innocenté nos désirs. Il était temps que l’humanité comprenne qu’un sein vaut un saint.
Moins on me regarde, plus j’éprouve le sentiment de vivre dans un monde de castrats.
La volonté de puissance exige trop de mains à serrer.
Dès qu’on tombe le masque, les autres endossent le leur.
Les dialogues de théâtre et les jeux du sexe sont, à ma connaissance, les seuls moyens de briser les apparences. Je n’ai jamais flirté avec la torture qui, pourtant, doit donner d’abominables résultats.
La race humaine me déçoit beaucoup, y compris la mienne. Mais que serait-ce si nous n’étions pas mortels !
Tiens, on n’entend plus beaucoup parler de Bernard Pivot ? Espérons que son oeuvre immortelle et ses puissantes dictées lui survivront.
Une dizaine d’écrivains méritent d’être relus. Les autres auront pour eux l’illustrissime gloire des livres scolaires.
J’ai mal baisé trop de femmes. La méprisable Nature renâclait. L’âne refusait de boire à ces sources fades que le lion trouvait pourtant désirables.
Les petits cons disparaissent plus vite du spectacle audiovisuel que les grands cons, preuve s’il en est que la grandeur reste partout souveraine.
Pendant dix ans, de 1980 à 90, j’ai tenu le journal intime de mes frasques. Tout y est noté par le détail. Mes Mémoires d’Outre-Chambre, en quelque sorte. Et que personne ne lira jamais. Évidemment, si j’avais été célèbre...
Sans la versatilité, la persévérance en art s’épuise vite. L’artiste est un animal aussi inconstant qu’infatigable. Futile et borné.
J’ignore s’il existe un florilège sur l’époustouflante vanité des écrivains, mais ce recueil de gargarismes et de haussements de col ne manquerait pas d’intérêt. Le “Je reste parmi vous” de Jean Cocteau, gravé dans la pierre, pourrait y servir d’exergue.
Les biographes sont aux écrivains célèbres ce que les valets de chambre sont aux rois. Ils nous rappellent toujours que les seigneurs vont à la chaise percée.
J’ai l’admiration muette. On me le rend bien.
Un excès d’éloges (le style Jacques Chancel) fait ipso facto passer son interlocuteur pour un abruti.
Les chrétiens, les chasseurs et les banquiers me donnent systématiquement des poussées d’herpès.
Il dénonce les tricheries de la Forme parce qu’il n’en a pas.
Enfin, une lectrice m’écrit que mes textes érotiques la font “mouiller”! Et voilà que cette soudaine humidité ravive une inspiration en panne sèche : j’en écris cinq nouvelles coup sur coup.
Un collègue de ma femme, assuré de me complaire, m’envoie chaque jour par mail des blagues de potache qui, je suppose, l’amusent beaucoup. Et moi donc?! Que faire dans ce cas ? Je m’abstiens; et me voilà bientôt sauvé de la gaudriole.
Un magazine féminin explique qu’écrire vingt minutes par jour “renforce les défenses immunitaires”, encore que “le style importe peu”. Je comprends mieux maintenant l’excellente santé de nos romancières à la mode !
Dire ou ne pas dire ? L’ennui de vexer, la paresse de lutter vainement contre la bêtise, la fatigue d’expliquer. J’opte systématiquement pour le silence, à charge plus tard d’en expectorer le fiel en l’écrivant.
Autour de moi, les gens meurent comme des mouches : amis, parents, simples relations. Le cercle se resserre et mon tour approche. Putain, pourvu que mes infirmières soient bandantes !
On m’accuse de vivre, préservé du monde, ma fête à l’écart. Je devrais braire avec les moutons, m’insurger contre les loups, jouir de souffrir et de me sentir pleinement utile ! Mais je suis utile ! Cette lectrice qui m’écrit : “Désormais, grâce à vous, le cul ne sera plus jamais triste” me conforte dans l’idée d’un sacerdoce profitable au genre humain.
Je rencontre une de mes anciennes élèves qui a pris vingt kilos. Je lui avoue que je la trouve toujours aussi belle. Je n’ose pas dire davantage, crainte qu’elle ne s’offusque de mes grosses perversions.
Mes proches, voire mes très proches, ne me lisent pas. On m’admire ailleurs, sans que je m’en offense le moins du monde. C’est la règle. Ainsi l’homme dédaigne-t-il sa femme charmante, que d’autres convoitent assidûment.
Il existe un art d’écrire, peu connu : celui de tourner vos lettres de telle sorte qu’on n’ose ou n’ait plus envie de vous répondre.
Le lecteur qui vous écrit laconiquement : “Très beau texte”, alors qu’il en existe presque trois cent sur votre site !
Bien avant l’intelligence et la culture, je place toutes ces qualités qu’on englobe sous le mot générosité : gentillesse, serviabilité, fiabilité, bonté. Le reste vient très loin au second plan.
300 000 enfants dans le monde sont enrégimentés comme soldats. Aux dernières nouvelles, les pédophiles militaires restent très optimistes, mais les ecclésiastiques s’inquiètent de ce transfert d’intérêt.
Cette lectrice qui nous écrit : “J’ai apprécié que vous parliez de vos animaux sur votre site”, ajoutant “J’ai moi-même une très belle chatte rousse qui s’appelle Mickie”. Eh bien, c’est entendu, nous aimons toutes les chattes, y compris les rousses, lesquelles dans nos fantasmes s’appelleront désormais Mickie.
Il n’y a que les animaux et les enfants pour vous donner parfois l’image estompée du paradis.
On comprend les amitiés de la guerre. On y est entre hommes. Mais, durant la paix, allez se prendre d’amitié pour un type dont la compagne est splendide, à d’autres !
La disgrâce est attirante chez une femme comme dans un fromage l’odeur.
Quand le désir s’éteint, la tête fomente. C’est le secours du cerveau sur l’épuisement du corps. Mais quel flamboiement dans les neurones !
En toute femme, une infirmière sommeille.
Toutes pétrifiées d’inquiétude envers ma tabagie galopante et renchérissant de bons conseils pour me sauver du cancer. Me permettrais-je, à mon tour, de leur avouer que l’inculture, la médiocrité, l’obésité, voire la laideur congénitale m’agressent tout autant qu’elles les volutes délicieux de ma fumée ? Je me permets. Après quoi, plus de conseils, plus de remarques, plus d’infirmières, plus d’amies. On veut bien dénoncer la paille qui vous défigure, mais recevoir une telle poutre en plein visage, pouah ! Quel goujat, cet homme !
Tout conseil est un ordre déguisé.
Un lecteur m’écrit :
“ Je suis très excité par les femmes qui ont envie de pisser et, qui doivent se retenir.
Et toi ?”
Moi, je suis très sensible au vouvoiement, à la délicatesse, à l’érotisme et, par voie de conséquence, aux imbéciles.
Trois heures du matin.
Pendant que j’écris ces âneries dans mon bureau, j’écoute (grâce à l’interphone) la respiration profonde et apaisante de ma fille (3 ans) qui me rappelle aux grâces du paradis tout-puissant.
J’ai découvert récemment que j’avais le coeur fragile et que l’accident cardiaque me guettait. Je me disais bien que mon romantisme était tout bêtement musculaire !
J’aime trop rire pour m’offusquer longtemps de la bêtise d’autrui. Dans les cas extrêmes, je sors fumer une cigarette salvatrice. Ça ou l’inutile agression. On peut rêver longtemps de changer le monde. Changer l’imbécillité humaine relève de la fervente utopie.
En vieillissant, je batifole dans un désenchantement souverain.
Elle lit “Les jeunes filles” de Montherlant et en déduit l’incontestable supériorité de la femme. Pauvre Montherlant !
Ce qui me gêne dans ma tabagie, c’est que les cendres de ma cigarette finissent par bloquer les touches de mon clavier.
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